
Nous avons reçu récemment Maud CAZABET et Marine CLETTE, étudiantes à l’École de journalisme de Toulouse, au sein de notre laboratoire Drones à l’ENAC. Maud et Marine souhaitaient rédiger un article sur l’intégration des drones dans l’espace aérien, et nous avons répondu à certaines de leurs interrogations. Ci dessous, le fruit de leur travail, qui constitue une excellente synthèse quant à la situation actuelle.
Bénéficiant d’un marché florissant, le drone s’impose comme l’objet “in” de cette nouvelle année. Néanmoins, un cadre est nécessaire à son insertion dans l’espace aérien français. En découle une réglementation à la hâte qui tente de suivre les abondantes innovations technologiques.
140 000 passagers bloqués, un million de vols affectés. Le 20 décembre 2018, l’aéroport londonien de Gatwick ferme près de trente-six heures à cause du survol d’un drone. Lourd bilan pour un engin de moins d’un mètre. Si aucun incident de cette ampleur n’a été observé sur le territoire français, il convient de s’interroger sur la façon dont les drones sont intégrés et contrôlés dans notre espace aérien.
Piloter un drone en extérieur est considéré comme une activité aérienne. Elle s’inscrit donc dans le cadre réglementaire posé par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), rattachée au ministère de la Transition écologique. En France, la loi interdit aux drones civils de voler à plus de 150 mètres et de survoler des agglomérations et des sites sensibles ou protégés tels que les bases militaires, les centrales nucléaires, ou les aéroports. Une réglementation essentielle, au vu de l’étude menée par le programme européen SESAR (Single european sky ATM research) qui prévoit sept millions de drones de loisirs et plus de 415 000 drones commerciaux dans le ciel européen d’ici à 2050. Cela fait beaucoup pour un espace déjà encombré. Si chaque pays de l’Union possède sa propre loi, l’Agence européenne pour la sécurité aérienne (EASA) projette pour 2019 une réglementation globale. « À terme, le but serait de maîtriser un espace aérien sécurisé, appelé “U-space”, au sein duquel les drones auraient toute leur place », décrit Jim Sharples, ingénieur de la Chaire « Systèmes de drones » de l’École nationale d’aviation civile (ENAC). Un objectif encore lointain.
Une difficile mise en application de la loi
La France a été l’un des premiers pays, en 2012, à réglementer l’usage des drones civils. Mais l’implémentation de la loi pose problème. D’abord, les drones sont difficilement détectables. Le télé-pilote est le seul à pouvoir maîtriser le trajet de son aéronef. Les drones sont encore considérés comme des intrus dans l’espace aérien. Aujourd’hui, seuls deux aéroports français disposent d’un radar détecteur de drones : Roissy – Charles de Gaulle et Monaco. Une absence de dispositif déplorée par Gabrielle Carpel, journaliste pour Drones Actu : « Lorsqu’une intrusion est signalée, il est trop tard. Le mal est fait. » De plus, il a fallu attendre l’arrêté du 19 octobre 2018 pour que l’enregistrement des drones de plus de 800 grammes soit obligatoire. Jusqu’alors, l’identification du drone n’était pas systématique. Or, si celui-ci s’avère malveillant, il faut le neutraliser. Mais là encore, les solutions manquent. Entre des aigles et des missiles à trois millions d’euros pouvant être dépêchés pour arrêter l’engin, les offres sont fébriles. La mise en application des règles dépend donc essentiellement de la bonne volonté des télé-pilotes…
D’autre part, la loi peine à suivre la cadence des avancées technologiques. Elle est en constante évolution. Les autorités ne savent pas trop où elles vont avec les drones et sont dépendantes des recherches menées sur leur compte. Parallèlement, les constructeurs et exploitants de drones tentent d’assouplir la loi pour tirer profit de ce nouveau marché. Gabrielle Carpel, souligne la double position de la DGAC qui « doit se montrer très ferme pour assurer une sécurité de l’espace aérien maximale, sans pour autant bloquer le marché florissant français ». Au sein d’un secteur de plus en plus concurrentiel à l’international, l’équilibre entre sûreté et développement économique est encore fragile. Enfin, la DGAC s’interroge : est-il pertinent de faire avancer la réglementation nationale si celle de l’Union européenne vient la bloquer par la suite ?
Des risques avérés
Alban Galabert, référent aéronautique à l’ESTACA (école d’ingénieurs), distingue deux types de risques : « Les risques aéronautiques, liés à des collisions ou des chutes sur des personnes ; et les risques de sûreté, liés aux usages malveillants. » Si les drones ne volent pas à la même altitude que les avions de ligne, « il arrive que des pilotes en phase d’approche signalent des drones sur leur trajectoire », indique Matthieu Morel, commandant de la brigade de gendarmerie des transports aériens (BGTA) de Toulouse-Blagnac. « Nous traitons annuellement une dizaine d’enquêtes impliquant des drones civils. » C’est surtout l’usage malintentionné de ces petits engins qui pose problème. « Dans certains cas nous avons affaire à de la concurrence déloyale de la part de sociétés qui réalisent des images de façon illégale. » En 2016, dix-sept centrales nucléaires françaises ont été survolées par des drones. Suite à cela, la DGAC a décidé de durcir la loi sur le plan sécuritaire. Mais entre espionnage industriel et simple erreur de pilotage, il est souvent impossible de déterminer les motifs de survols de zones interdites. Les professionnels de la sûreté aéronautique sont inquiets : « C’est sûr que ça fait peur. On n’est pas responsable de ceux qui ne veulent pas respecter la réglementation », confie Pascale Brouqui, technicienne au Service de la Navigation Aérienne Sud.
Des initiatives collectives innovantes
Plusieurs groupes industriels et start-up mènent des projets pour faciliter l’intégration et la maîtrise des drones dans l’espace aérien. En outre, des initiatives sont prises par la DGAC pour développer la filière drone de façon structurée. La création du Conseil pour les drones civils en 2015, a permis d’instaurer un dialogue entre les différents acteurs, publics et privés, du secteur. « Une instance utile », analyse Jim Sharples.
Néanmoins, la réglementation sur les drones évolue difficilement entre une communauté aéronautique qui entend maintenir une sécurité maximale de l’espace aérien et une industrie innovante qui souhaite apporter rapidement des solutions techniques afin de développer le marché du drone.
Maud CAZABET et Marine CLETTE, étudiantes à l’École de journalisme de Toulouse